mercredi 15 septembre 2010

Chronique : Féroces de Robert Goolrick (Anne Carrière)

Féroces de Robert Goolrick
Kısmet

 
Qu'on l'ignore ou qu'on la dénie, qu'on la cache ou qu'on la renie, la vérité poursuivra sa progression, propulsée par les battements d'un cœur à qui l'on a volé son innocence et qui parvient à s'accrocher obstinément à la vie.

Robert Goolrick nous raconte son histoire, ses amours, ses ami(e)s, ses emmerdes ... (© Charles Aznavour).

« Maintenant et pour les siècles des siècles »

Rouge. En hébreux, il devient adom, synonyme d'Adam, Adamus, fait de terre rouge. Le latin du mot rouge, ruber, a donné naissance à rubicon, du nom du fleuve italien, et à l'expression franchir le rubicon, qui consiste à atteindre et parfois franchir le point de non retour. Ce point, l'auteur va le frôler autant de fois qu'il a de cicatrices sur les bras. Il va danser avec la vie, accorder quelques pas à la mort, pour finalement parvenir jusqu'à nous à travers ce témoignage bouleversant.

« Le sang était d'un rouge riche, plus rouge que je ne m'y attendais. La couleur était belle. Cramoisie. Comme le rouge à lèvres sombre et laqué d'une belle femme.
Dans la lumière, il miroitait. »


Si Robert Goolrick n'avait pas été romancier, il aurait été peintre. Son roman Féroces aurait pu être un triptyque. Chaque partie du tableau correspondant à une partie de Féroces. Il aurait dépeint dans le premier un cadre idéal et bourgeois. Il aurait fait ressortir les couleurs vives des parures et des différentes toilettes de ces dames. Il aurait joué du pinceau pour donner vie aux panaches de fumée qui s'échappent des cigarettes de ces messieurs. Dans le deuxième, il aurait commencé à glisser quelques signes précurseurs du drame à venir, en jouant avec les flammes de l'âtre de la cheminée et la couleur ambrée du contenu des verres. Il aurait glissé un peu de rouge çà et là, via des fruits, ou la draperie d'un rideau.

Et puis au fur et à mesure, on commencerait à voir disparaître quelques sourires, à remarquer que le ciel est de moins en moins bleu et que les ombres deviennent de plus en plus menaçantes. Pour finalement arriver à la dernière partie du triptyque, empreinte de solitude, de terreur, et de sang. Et puis, on retrouverait un semblant de lumière dans la signature de l'artiste, venant mettre un point final à l'œuvre. Une signature qui évoque un écho ...

« Ces choses-là arrivent. »

Et quand on évoque la cruauté morale à l'encontre d'un enfant sans défense, le sadisme des réflexions dont il va faire l'objet, vient enfin le temps où les masques tombent. Le fil rouge de cette histoire va se confondre avec le fil de la lame ensanglantée. Le saignement comme autant de larmes qui n'auront pas été versées. Comme la libération d'un trop-plein. Comme une envie qui n'a que quelques minutes, quelques heures, pour devenir une « enmort ».

« Mange ton sandwich, cow-boy. »

C'est que Robert Goolrick a un don pour exprimer toute la profondeur d'un mot à l'aspect anodin. Certaines répétitions soulignent en effet le côté désespéré et hanté du récit. Une impression qui ne quittera pas le lecteur, même après avoir tourné la dernière page.

On l'accompagne donc dans un récit qui va devenir de plus en plus noir et sombre, peuplé de petites touches de rouge. De celui de la tomate dont la chair s'ouvre aussi tendrement que la peau des poignets. Toujours comme ce peintre qui dissémine quelques touches de vie dans un récit qu'effleure à de multiples reprises le spectre de la mort.

« L'été de nos suicides »

Et devant ces journées qui s'enchaînent dans une atmosphère de plus en plus oppressante, on devient d'autant plus sensible à la manière dont l'auteur va utiliser son panel de couleurs. Couleurs qu'il va exploiter tantôt pour nous faire rire, nous réchauffer, tantôt pour nous faire pleurer, nous glacer. Par l'intermédiaire de quelques répétitions, c'est, entre autres, le rouge des tomates qui revient le plus souvent.

Pour avoir eu l'opportunité de lire une partie du roman dans sa version originale, j'ai également pris un immense plaisir à découvrir le travail de précision de Marie de Prémonville sur cette traduction. On parle du fil de la narration, de la lame de rasoir. On peut aussi parler du fil sur lequel la traductrice se promène durant les pages de Robert Goolrick, pour trouver le bon équilibre et le bon écho au mot d'origine. L'auteur utilise avec force certaines banalités du quotidien mais qui prennent une dimension particulière dans le cœur du récit. C'est où le talent de l'adaptatrice rend toute l'élégance du texte sans jamais le galvauder ou l'amoindrir.

« Cette histoire, je la raconte car je tente de croire, car je crois de tout mon cœur, que toujours demeure l'écho obstiné d'une chanson. »

Finalement Féroces, ce sont des mots qui remplacent les maux. Les maux qui deviennent des mots. Des mots de tête, un témoignage. Et qu'est-ce qu'un témoignage, si ce n'est un ensemble de maux qui blessent, des mots qui survivent et que l'on transmet.






Frédéric Fontès

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