dimanche 7 mars 2010

Stigmate de Jérôme Camut et Nathalie Hug

STIGMATE DE NATHALIE HUG ET JÉROME CAMUT



« Ils appelleront ça un tueur en série.
Une association de mots vulgaires pour qualifier ce que j’ai entrepris.
La presse et les médias pourrissent tout.
Rien n’est assez juteux pour ces charognards.
Les centaines de pages qui suivent sont le témoin impartial de la mise en application du Système.
Approche-toi, ami voyeur.
Et n’ait pas honte de ton vice.
Viens pénétrer le monde d’un artiste du crime. »


Les voies de l’ombre.
Voilà ce que nous rappelle ce deuxième opus via le sous-titre de cette trilogie, après Prédation. Si ce premier opus était une enquête policière, cette suite s’attache plus à nous faire découvrir les voies qu’auront suivis chacun des personnages depuis que l’on avait tourné la dernière page du précédent roman de Nathalie Hug et Jérôme Camut. Comme si ce livre n’avait était qu’une sorte de shaker et que l’on découvrait désormais les cocktails détonants qui font désormais l’essence de ces personnages. Comme si nous n’avions eu qu’un aperçu des ingrédients affectés à chacun des personnages principaux tel que Rufus, Daza, Andréas, Kurtz, Michèle ou Thomas. Après il suffit de suivre la recette. Secouer bien fort. Remplir chaque verre. Déguster bien frais.

La surprise donc, de Stigmate, c’est les nouveaux parfums, ces nouveaux goûts, ces nouvelles saveurs à découvrir qui correspondent à des chemins de vie susceptibles d’être pris par chacun des acteurs du roman. Chaque destin peut être vu comme les différentes voies que pourra prendre individuellement chaque personnage. Des chemins de vie mais aussi, des chemins de mort. Amers ou doux, sucrés ou désespérément salés. Attendez-vous à passer du miel au vinaigre …

Le livre est donc composé de 108 chapitres à dévorer très vite !

Préface
Prologue
I. Tout le monde a le droit de disparaître
II. Ordre et désordre dans le chaos permanent du monde des hommes
III. Le monde est bien trop petit pour s’y cacher longtemps.
Épilogue

Stigmate nous raconte le destin de quatre personnages à qui il est arrivé la même mésaventure et qui vont vivre quatre destins différents. Des accès devant lesquels chacun d’eux va se retrouver confronté, conduisant vers des veines de vie et de mort qu’ils vont être déterminés à suivre, à explorer, jusqu’au bout. Des êtres hantées par des démons, des tourments, déterminées à signer un pacte avec leurs propres démons. Quatre promesses, quatre souhaits. Avec au bout du compte, la rédemption ou la malédiction, le paradis ou l’enfer, le pardon ou la damnation. Des destins, des voies, des rayons qui nous dirigent vers les voies de l’ombre.

Des voies de l’ombre qui donnent aussi l’occasion aux auteurs de se prêter à un exercice de style via l’élaboration d’un livre dans le livre puisque les voies de l’ombre sont en fait le titre des mémoires d’Olivier Lavergne, que nous découvrons au gré des pages et qui nous prend à témoin. Voir le chapitre 95 où Kurtz s’en prend au lecteur :

« Comment nomme-t-on les chiens lancés aux basques du dresseur ? Des pantins. Comme vous êtes tous en ce moment à lire ces pages, des marionnettes entre les mains du manipulateur, des esprits entravés en appétit d’autonomie, de futures carcasses que l’on jettera au feu. »
Lecteur manipulé par Kurtz ou par Nathalie et Jérôme ? L’exercice de style devient vraiment intéressant quand un des personnages se retrouve en possession de ce manuscrit. Cela crée soudain une drôle d’interaction entre le lecteur, les auteurs et les personnages, puisqu’à ce moment là de l’histoire, il devient acteur de l’histoire, puisque lui aussi a lu ce manuscrit et devient donc témoins passifs de la folie de Lavergne.

SPOILERS ON
Révélations

Stigmate nous met également face à un élément majeur de l’histoire de Prédation, dont les conséquences vont prendre forme dans ce deuxième opus. Comme je vous le disais plus haut, ce livre nous révèle les stigmates, les traces, les cicatrices de quatre personnes violées psychologiquement par un fou, dressées et enfermées contre leur grès. Et sur ces quatre personnes, l’une d’elle va faire l’objet d’une terrible lutte intérieur. Une lutte intestine et bien connue des psychologues qui mènent des thérapies sur d’anciens otages : le syndrome de Stockholm. Cette interaction qui va se créer entre le bourreau et sa victime, cette dépendance mutuelle qui va se nourrir de l’un et de l’autre, va complètement faire exploser le schéma habituel du genre d’histoire que nous sommes habitués à dévorer.

Quelques éléments glanés sur le wikipédia pour mieux comprendre :

Le syndrome de Stockholm désigne la propension des otages partageant longtemps la vie de leurs geôliers à adopter un peu ou tous les points de vue de ceux-ci.
Au départ et dans n'importe quelle rencontre au hasard, il y a "sympathie" (du grec littéralement "même souffrance") dans la reconnaissance mutuelle d'un "alter ego" (l’autre moi différent ou altéré) chez l’autre. Ensuite arrive la reconnaissance mutuelle d'une concordance profonde des personnalités dans l'interaction "complémentaire" en "creux et relief" des grandes différences. Il y a "antipathie" dans l'interaction symétrique en "miroir" de la rivalité dans de grandes similitudes, comme l'escalade de la course aux armements où un bouclier plus épais répond à une flèche plus puissante et comme la surenchère des vantardises ou à un exploit imaginaire répond un exploit au moins égal et tout aussi imaginaire.
Le sociologue Amitai Etzioni a étudié la "compliance" qui est une interaction complémentaire du couple autorité-obéissance, comme dans celui de domination-subordination et celui de pourvoyeur-bénéficiaire, etc.


C’est de ça dont il s’agit dans Stigmate. Et j’aime bien ce mot, compliance, qui mêle la complicité à la complaisance, la complémentarité et l’alliance, la confrontation et l’obédience, la soumission et l’allégeance. Comme si la frontière entre la sympathie et l’antipathie était tel qu’elle nous permettait d’atteindre cette ligne de démarcation qui sépare le bien du mal, le blanc du noir, la vie de la mort, l’espoir du désespoir, sans jamais quitter un côté, sans jamais en explorer complètement l’autre. Une altération qui nous fait face dans ce miroir, une rivalité qui grossit tel un cancer mais qui au finale peut se transformer en complémentarité.
Une antipathie qui va devenir empathie. Une rébellion qui va devenir obéissance. Une haine qui va devenir respect. Une incompréhension qui va devenir interrogation, puis acceptation. Une opposition qui va devenir interaction. L’ombre qui dépend de sa lumière. La lumière qui découvre ses zones d’ombres. À l’image des lumières et des ombres qui électrisent l’âme humaine. Comme le précise l’article plus haut, c’est assez surprenant de voir, de lire, de découvrir dans Stigmate les liens qui se créaient tel un lierre qui cherche à progresser, une racine du mal qui cherche à se sustenter.

SPOILERS OFF

Belle claque que la lecture de ce deuxième opus. Bien dérangeant comme il faut, et surtout, une histoire qui nous hante bien après sa lecture. Tant mieux pour nous qui errons sur les forums, nous allons pouvoir en parler pendant de longs moments…
Quoiqu’il arrive, que l’on aime Stigmate ou qu’on le déteste, il ne laissera certainement pas indifférent. Vous allez l’adorer. Ou le détester ! Le livre va vous surprendre, vous étonner, vous choquer, vous trahir, vous malmener. Mais bon, fallait s’y attendre. Il me tarde déjà de lire la suite. Rares sont les auteurs qui ont le courage de maltraiter à ce point leurs héros et qui ne laissent pas de place au compromis, au consensuel ou au « happy-ending ». Il y avait Stephen King. Il y a eu depuis en France Jean-Christophe Grangé, puis Franck Thilliez. Il faudra désormais compter sur Nathalie Hug et Jérôme Camut.

Frédéric Fontès

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