lundi 26 octobre 2009

Chronique : Au-delà du mal - Shane Stevens (Sonatine)

Un des évènements 2009 du catalogue des éditions Sonatine : la publication d'un roman inédit en France, de Shane Stevens, Au-delà du mal, alias By reason of Insanity.

Et pourquoi parler d'évènement ? Voilà de quoi vous mettre l'eau à la bouche :

Un ouvrage fondateur du roman de serial Killer, écrit dans les années 1970 et jamais publié en France...



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Back in the '70s, when the term "serial killer" wasn't yet popular, Shane Stevens wrote this long, exquisitely detailed novel about a psychopathic murderer. Thomas Bishop escapes from an insane asylum at age 25 and begins what he fully intends to be a historic career as a multiple murderer. He is meticulous, intelligent, conscious of what he is doing, and utterly amoral. And we are inside his head, every step of the way--a welcome approach compared to contemporary works that focus on a detective or reporter protagonist. The New York Times called it "violent realism . . . extremely effective." --Ce texte fait référence à une édition épuisée ou non disponible de ce titre.

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Now in a trade paperback edition, here is the bestselling novel of a serial killer that became the standard against which all other books in the genre are judged. Thomas Bishop was 25 when he escaped from an institution for the criminally insane. Behind him was a grotesque history of pain, murder, and rage. Ahead lay a path of horrifying vengeance that would trigger the most intense manhunt in history.


Comme Bragelonne l'a fait de part le passé en nous proposant une version non censurée de Morte Saison de James Ketchum, j'adore quand les éditeurs se débattent pour nous proposer des œuvres inédites ou pour réediter des perles oubliées.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Clément Baude
« Extraordinaire ! » The New York Times

Le « Citizen Kane » du roman de serial killer

Après plus de vingt-cinq ans de malédiction éditoriale, nous avons le plaisir de vous présenter pour la première fois en langue française Au-delà du mal, de Shane Stevens, l’un des livres fondateurs du roman de serial killer, avec Le Dahlia noir de James Ellroy et Le Silence des agneaux, de Thomas Harris.

À 10 ans, Thomas Bishop est placé en institut psychiatrique après avoir assassiné sa mère. Il s’en échappe quinze ans plus tard et entame un périple meurtrier particulièrement atroce à travers les États-Unis. Très vite, une chasse à l’homme s’organise : la police, la presse et la mafia sont aux trousses de cet assassin hors norme, remarquablement intelligent, méticuleux et amoral. Les destins croisés des protagonistes, en particulier celui d’Adam Kenton, journaliste dangereusement proche du meurtrier, dévoilent un inquiétant jeu de miroir, jusqu’au captivant dénouement.

À l’instar d’un Hannibal Lecter, Thomas Bishop est l’une des plus grandes figures du mal enfantées par la littérature contemporaine, un « héros » terrifiant pour lequel on ne peut s’empêcher d’éprouver, malgré tout, une vive sympathie. Au-delà du mal, épopée brutale et dantesque, romantique et violente, à l’intrigue fascinante, constitue un récit sans égal sur la façon dont on fabrique un monstre et sur les noirceurs de l’âme humaine. D’un réalisme cru, presque documentaire, cet ouvrage n’est pas sans évoquer Le Chant du bourreau de Norman Mailer et De sang-froid de Truman Capote. Un roman dérangeant, raffiné et intense.

Shane Stevens (probable pseudonyme) est né à New York en 1941. Il a écrit cinq romans entre 1966 et 1981 avant de disparaître dans l’anonymat. On ne sait pas grand-chose d’autre de lui.
« […] la plus belle des ruses du Diable est de vous persuader qu'il n'existe pas ! »
Charles Baudelaire, Petits Poèmes en Proses (bien avant Usual Suspect).


Shane Stevens a écrit Au-delà du Mal (By Reason of Insanity) en 1979. Il aura fallut attendre 30 ans qu’un éditeur opiniâtre (les Editions Sonatine) parvienne enfin à récupérer les droits afin de permettre aux lecteurs français de découvrir cet ovni en matière de tueur en série. Un ovni ? On peut même parler de bible tant il est logique d’en déduire à quel point ce roman a pu influencer un nombre important d’auteurs anglo-saxons.

La grande réussite de ce livre tient autant dans le fond que dans la forme. Avant de rentrer plus en détails sur ces deux points, on félicitera le travail du traducteur Clément Baude, qui permet certainement à cette édition française 2009 de ne pas souffrir d’un décalage frappant quand à l’ancienneté du manuscrit et de l’époque des faits.

Concernant le fond.

L’enfant répondant au de nom de Thomas Bishop est la première victime de ce qui va/peut faire de lui un véritable concurrent direct à l’un des tueurs en série les plus emblématiques que l’on connaisse à ce jour : Jack l’éventreur. Alors que Jack a bel et bien existé, ce personnage fictif va balayer tous les autres existants. Oubliez Hannibal Lecter, Michael Myers, Martin Plunkett, Patrick Bateman, etc.

Durant les dix premières années de son existence, Thomas Bishop, fruit d’un viol, subira le courroux de sa mère, Sarah. Violée à de multiples reprises depuis l’âge de 13 ans, elle a déjà au moment de la conception de son fils une haine sans borne pour le genre masculin. Martyrisé et torturé, le calvaire de Thomas ne s’achèvera que le jour de son internement en hôpital psychiatrique, après qu’il eut assassiné sa mère.
Après quinze années d’enfermement, le cocon psychiatrique va donner naissance à l’un des papillons les plus monstrueux qu’aura connu les USA. Quinze années pendant lesquelles l’esprit malade de cet être va enregistrer tout ce qui sera à sa disposition pour faire de lui un nouvel homme, un phoenix qui renaitra de ses cendres le jour de son évasion …
Et comment réussir à la fois l’évasion parfaite, tout en parvenant à échapper à l’immense chasse à l’homme qu’elle ne manquera pas d’engendrer ? En procédant à la première mue qui va permettre à Bishop de se faire passer pour mort.
De nouvelles identités en nouvelles identités, il va semer la mort pendant neuf mois sur son passage. La seule personne qui sera capable de mettre la main sur lui sera celle qui parviendra à penser comme lui et à faire preuve d’autant d’ingéniosité à le débusquer qu’en aura Bishop à tromper la Police et à approcher ses victimes.

Concernant la forme.

L’angle choisit par Shane Stevens est à la fois simple et épatant. Pour nous permettre de suivre quasiment jours après jours les neufs mois de cavale meurtrière de Bishop, l’auteur va créer une immense toile d’araignée dans laquelle il va placer chacun de ses personnages :
le tueur, les médecins, les victimes, la famille des victimes, la pègre, les journalistes, les politiciens, les policiers et les quidams qui font la jonction entre chacun de ces groupes.
Avec une réelle habileté, Shane Stevens va parvenir à manœuvrer chacun de ces fils d’araignée qui compte autant de marionnettes qu’il y a de personnages dans le roman. Cela va donner un récit très dense et méticuleux qu’il sera difficile d’assimiler rapidement tant le grand nombre d’informations et de personnages, rempli des chapitres très longs.
Oppressant à souhait, on refermera le livre à de multiples reprises pendant sa lecture afin de laisser le temps à notre cerveau de filtrer les données et la violence du récit.
Et puis il y a cette fin … à l’image des 760 pages qui ont précédé … monumentale ! Une seule question nous hantera alors : mais qui est Thomas Bishop ?

P709 : « […] Vous semblez oublier que dans de nombreuses civilisations anciennes, la folie était synonyme de magie. Même aujourd’hui, chez quelques peuplades d’Amérique du Sud, les fous sont considérés comme les véritables sorciers de la tribu, censés ‘comprendre’ ce que le commun des mortels ne peut voir. […]
- Vous ne trouvez pas qu’il a tout d’un sorcier ? Ses désirs monstrueux, son sadisme sexuel, son invisibilité totale… Tout cela relève du surnaturel. Or, qu’est-ce qu’un pouvoir magique sinon un pouvoir surnaturel exercé sur les forces naturelles ? Ma folie absolue de Bishop lui confère justement ce genre de pouvoir absolu. Et si ça, ce n’est pas de la vraie magie, alors, qu’est-ce que c’est ? »
Personne ne lui répondit.
« Que Dieu nous pardonne, annonça lentement Kenton, mais les Thomas Bishop sont devenus les véritables magiciens de notre tribu. »


Un passage intéressant qui me permet encore une fois de faire un parallèle avec le genre et la magie. J’évoquais les talents de magicien d’un auteur pour nous jouer des tours de passe-passe mais quand est-il du tueur insaisissable ? Peut être que c’est la raison qui nous pousse à être fasciné par de tels personnages parvenant à se fondre dans la masse pour mieux disparaître …

Pour finir, je vais évoquer la dernière fois que j’ai ‘virtuellement’ approché le mal incarné, c’était dans le très dérangeant Emprise, film de Bill Paxton.

Frédéric Fontès

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