dimanche 8 septembre 2013

Entretien avec Antoine Tracqui (1-3)

Point Zéro, premier roman d'Antoine Tracqui, a été publié le 23 mai dernier, aux éditions Critic.

Et je suis simplement en dessous de la vérité si je me contente de dire que j'ai passé un moment incroyable en m'immergeant dans ce roman.

J'ai eu hâte de pouvoir le chroniquer afin de partager mon enthousiasme (chronique à lire ICI) mais j'ai également éprouvé l'envie irrépressible d'en savoir plus sur ce livre et son auteur.

Je me suis donc décidé de contacter l'éditeur et l'auteur pour tenter l'aventure de l'interview. J'ai l'immense plaisir de vous présenter la première interview de 4decouv et le privilège de partager avec vous ces questions -réponses qui devraient vous en apprendre un peu plus sur la genèse de Point Zéro.


1/ Frédéric Fontès, 4decouv : Je me rends compte (en ayant cherché ici et là sur le net) que l'on en sait très peu sur vous. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous expliquer ce qui vous a poussé à entreprendre l'écriture de ce premier roman ?


Antoine Tracqui
Antoine Tracqui : Tout d’abord, un grand merci pour l’intérêt que vous avez bien voulu porter à mon travail ! Pour la bio, ce sera bref vu que je préfère de loin parler de mon bouquin que de moi-même, et que je suis totalement réfractaire au personal branding ; alors voilà, je suis médecin légiste de mon état, et ça fait pas mal d’années que j’exerce à l’Institut médico-légal de Strasbourg, ainsi qu’à la Fac de médecine toute proche où je suis enseignant. Mon redoutable boulot inclut la réalisation d’autopsies et d’examens de victimes vivantes (eh oui... en médecine légale on voit 10 vivants pour un mort !) ; en prime je suis aussi toxicologue analyste (quézaco ? facile : si vous décédez, mettons par exemple d’une overdose au Viagra® - si, si, ça existe -, c’est moi qui me chargerai d’analyser vos prélèvements (sang, urines, contenu gastrique,... miam miam !) pour voir ce qu’il y a dedans... en gros ça me permet de ricaner deux fois, la première quand je découpe votre cadavre et la seconde quand je découvre ce que vous avez avalé).
Oups, je m’aperçois que j’ai oublié de vous donner mon âge : canonique, bien sûr (mais comme chez quelques-uns de mes héros, il s’agit d’une donnée toute... relative).
Ainsi que je l’ai déjà indiqué dans une précédente interview ( c'est là ! ), j’ai toujours eu envie d’écrire, aussi loin que je me souvienne. Quant aux personnages de Point Zéro (ainsi qu’un certain nombre de scènes d’action, d’ailleurs), ils étaient en gestation depuis déjà  quelque temps avant que je ne me lance. En cours d’écriture - après avoir atteint ma vitesse de croisière, au bout d’une demi-douzaine de chapitres -, je me suis dit qu’en fin de compte ce n’était pas si difficile, et que j’aurais dû m’y mettre bien plus tôt... mais a posteriori, je réalise que c’est faux : en fait ce n’est pas l’auteur qui choisit le moment du passage à l’acte, c’est sa création, peu à peu nourrie de ses expériences et de ses aspirations, qui décide pour lui - et pour cela il faut qu’elle ait acquis suffisamment de substance, une sorte de masse critique qui déclenche l’accouchement du texte...
Bon sang, on n’en est qu’à la première question et je parie que vous vous demandez déjà si je rajoute des trucs dans mon pure malt... (la réponse est non, le 16 ans d’âge ça se boit straight).

2/ FF : Une chose frappante quand on commence à lire Point Zéro, c'est le nombre impressionnant d'éléments qui s’enchaînent pour former l'intrigue du livre. Pris indépendamment, ces éléments auraient pu servir de carburant à autant de romans différents. Ça me fait penser à un ami scénariste qui avait reçu un très bon conseil de la part d'un de ses collègues : « Si tu veux écrire un diptyque ou une trilogie, mets toutes les bonnes idées que tu as dans le premier tome, ne garde rien. De nouvelles idées viendront par la suite. » On peut dire que vous avez fait plus que suivre ce conseil à la lettre, non ? On imagine l'immense documentation que vous avez dû rassembler.

AT : Le conseil est effectivement des plus pertinents, surtout pour un premier roman où il faut absolument mettre le paquet pour espérer retenir l’attention d’un éditeur ; ça ne veut pas dire que pour le suivant on a le droit de se reposer, bien sûr... mais assurément, une fois que votre premier bébé est dans les rayons des librairies (et qu’en plus, comme dans mon cas, il a eu le bonheur de susciter quelques réactions positives), vous vous sentez un peu plus en confiance pour la suite des événements...
On m’a déjà fait plusieurs fois cette remarque à propos du très grand nombre d’éléments qui s’enchaîneraient façon « horlogerie », ou « mécanique bien huilée », etc... Désolé, il n’y a aucun super-pouvoir là-dessous, en fait ça tient à ma manière particulière d’écrire. J’ai lu quelque part qu’il y a fondamentalement deux types d’écrivains (ça porte même un nom, mais j’ai oublié !) : en gros, le type qui planifie tout dès le départ, itinéraires, timings à la seconde, rebondissements prévus huit chapitres à l’avance, et surtout qui sait où il va ; et celui qui part à l’aventure, sans idée préconçue, qui laisse ses héros choisir leur chemin et qui n’a pas la moindre idée de comment le voyage va se terminer. Clairement j’appartiens à la première catégorie (avant même d’avoir écrit les premiers mots de Point Zéro j’avais déjà rempli un épais cahier de notes préparatoires avec lignes chronologiques, bio des personnages, tables de conversion d’unités ou de fuseaux horaires, etc !...) ; c’est peut-être moins glamour que de se laisser pousser par le vent, mais à mon avis plus efficace... du moins pour écrire ce type de roman ! Quant à la documentation technique, elle a effectivement été conséquente (rien que sur Wikipedia qui représente mon premier niveau de recherche avant d’aller creuser plus profond, j’ai consulté un peu plus de 1700 pages !), mais c’est sans doute la partie du boulot à laquelle j’étais le mieux préparé du fait de ma formation - en tout cas celle qui m’a paru la moins ardue...

3/ FF : Il est impossible, en lisant votre livre, de ne pas penser à Jules Verne, et à des auteurs qui ont marqué l'univers du techno-thriller moderne [Michael Crichton, Douglas Preston & Lincoln Child (Ice Limit, le Piège de l'Architecte, Deep Storm), Robert Ludlum (La Trilogie Bourne), John Darnton (Néandertal), Steve Alten (Goliath, Mégalodon), Craig Thomas (Mission Firefox), Carl Sagan (Contact), etc.].  Dites-nous quels sont les auteurs et les livres qui vous ont donné envie d'écrire dans ce genre particulier.

C’est drôle, avant que vous ne me fassiez cette remarque il ne me serait jamais venu à l’idée de citer Jules Verne parmi mes pères en littérature : trop daté, voire ringard, auteur pour enfants, illisible pour les adultes, etc... (ah... ces pages entières de nomenclature zoologique infligées au lecteur, sans aucune pitié, dans Vingt mille lieues sous les mers). Et pourtant, vous avez entièrement raison :

- d’abord parce qu’entre l’âge de 8 et 15 ans, j’ai probablement dû lire (que dis-je : dévorer !) tout Jules Verne ; pas seulement les grands classiques, mais aussi des pépites moins connues style Un drame en Livonie ou Le pays des fourrures...

- ensuite parce que je reste, aujourd’hui encore, fondamentalement imprégné par la pensée scientiste (ou plutôt le positivisme scientifique) qui imprègne l’œuvre de Verne (il est évident que ma formation universitaire me pousse dans le même sens, mais sans doute celle-ci a-t-elle été influencée par celle-là). Voilà, entre autres raisons (cf. question 5), pourquoi je me sens plus à l’aise avec les auteurs anglo-saxons de SF ou de thrillers (qui assument volontiers une vision positive du progrès scientifique, même s’ils ne s’interdisent pas la critique à l’occasion) plutôt qu’avec leurs homologues français (où la critique est souvent plus systématique, pour ne pas dire de principe).

Jules Verne par Nadar
Pour en terminer avec Jules Verne, deux de ses héros m’ont tout particulièrement marqué : Nemo, bien sûr, et aussi le capitaine Hatteras. Chez les deux (en fait c’est le même bonhomme, décliné de deux manières différentes) on retrouve la même hybris, la même posture prométhéenne, la quête à laquelle tout doit être sacrifié et qui, sans nul doute, vous consumera aussi, la froideur, le cynisme, l’arrogance et la certitude, poussée jusqu’à la folie, d’avoir raison envers et contre tout... J’adore ce type de personnages - d’une certaine manière, on peut dire que Kendall Kjölsrud est leur fils spirituel !
En ce qui concerne les auteurs plus modernes, merci de m’avoir mâché le travail en ne citant que des gens que j’aime bien (à part peut-être le regretté Sagan, que je préfère comme vulgarisateur (Cosmos), que comme romancier (Contact)), et qui ont tous contribué à me faire aimer le techno-thriller. Je me permettrai d’en ajouter quelques-uns :

- d’abord et surtout, l’immense Clive Cussler ; même si j’accroche un peu moins avec les nouvelles séries estampillées Cussler mais pour l’essentiel écrites par d’autres (Paul Kemprecos, Jack du Brul...), il reste pour moi le maître absolu, tant sur le fond que sur la forme. Autant dire que lorsqu’au détour d’un blog je découvre qu’un chroniqueur (sans doute ivre-mort !) me présente comme « le digne successeur de Clive Cussler », rien que ça, je me sens comme touché par la grâce !!

Projet Méduse de John J. Nance
- dans la veine « techno-thriller archéologique », David Gibbins (Atlantis, le Masque de Troie, et plus récemment Pharaon que je n’ai pas encore eu le temps de lire)... un super auteur, également, et dont les thèmes de prédilection ne sont peut-être pas sans rapport avec ce que je suis en train d’écrire en ce moment (hé hé... je n’en dirai pas plus !!!)

- Tom Clancy, évidemment, qui m’a fait aimer le techno-thriller géopolitique (voilà pourquoi il me fallait absolument Vladimir Poutine comme guest-star...)

- pour les amateurs de sous-marins (j’en fais partie !) : Michael DiMercurio (Coulez le Barracuda !, Opération Seawolf, La dernière torpille...)

- et pour les aficionados de voltige aérienne (j’en fais partie aussi !!), l’excellent John J. Nance (Projet Méduse - à mon avis un des tout meilleurs techno-thrillers de ces vingt dernières années -, L’horloge de Pandora, Black-out, etc...)

4/ FF : Je crois savoir que votre manuscrit a voyagé chez quelques éditeurs avant d'arriver aux éditions Critic. Je suis curieux de savoir ce que les autres éditeurs vous ont dit pour refuser cette histoire... Et comment s'est passée la rencontre avec votre éditeur chez Critic ?

AT : « Quelques éditeurs », ça tient de la litote... en fait j’ai soumis le manuscrit à une vingtaine de maisons d’éditions différentes : la première fournée c’était juste après avoir terminé mon pensum, vers juin 2011. Par naïveté ou par optimisme, comme on voudra, j’avais sélectionné uniquement des grosses pointures dans le domaine du roman d’action, tous genres confondus (pour les situer, c’est facile : c’est ceux qu’on trouve en tête de gondole dans les Relay, ou au rayon librairie d’Auchan !). Ensuite j’ai attendu... attendu... attendu... (bon, j’étais au courant pour les délais, mais à l’usage c’est dur quand même). Résultat des courses au bout de quatre mois :
- deux éditeurs (et non des moindres !) ont simplement accusé réception du manuscrit, et par la suite je n’en ai plus jamais entendu parler (quoi ? vous voulez des noms ?? dans vos rêves, oui... je n’ai pas envie d’hypothéquer l’avenir !!!) ;
- pour la plupart, c’était le refus standard (du style « Votre travail a des qualités indéniables mais malheureusement nous ne sommes pas en mesure de le publier »), en règle générale sur un formulaire-type (parfois une photocopie d’une photocopie d’une photocopie !) où ils se contentent d’inscrire le numéro d’ordre de votre manuscrit et, éventuellement, son titre (même remarque que précédemment) ;
- une seule fois, j’ai eu droit à un refus argumenté, sur une page recto-verso - qui plus est, manuscrite - où la directrice littéraire d’une maison d’édition (également non des moindres, on peut même dire du trrrès gros calibre) s’est donnée la peine de dire tout le bien qu’elle pensait de mon œuvre, tout en soulignant certaines de ses insuffisances. Un refus, certes, mais du genre qui vous fait chaud au cœur et qui vous donne envie d’insister...
Deuxième fournée, donc, en octobre-novembre : cette fois je m’étais réorienté vers des éditeurs plus spécialisés dans les littératures de l’imaginaire (notamment SF, parce que je me suis dit, à tort ou à raison, que c’étaient les 5 % de SF que contient Point Zéro qui avaient dû déplaire...) : Bragelonne, l’Atalante, Mnémos et une dizaine d’autres... dont Critic. Là par contre j’ai eu pas mal de réponses et beaucoup d’encouragements, mais c’est Critic qui a dégainé le premier (qu’ils en soient remerciés, encore chapeau les mecs pour la prise de risque !!)

À suivre ICI et .

Merci aux éditions Critic pour la mise en relation, à Antoine Tracqui pour ses réponses extra-ordinaires à l'image de son roman et à Erik Wietzel pour m'avoir mis sur le droit chemin.

Frédéric Fontès

1 commentaire:

collectif polar a dit…

La suite, la suite...